Voici un ouvrage fort intéressant sur la chevalerie, dont je propose de diffuser un extrait chaque semaine.
Bonne lecture…
HISTOIRE
DE LA
CHEVALERIE FRANÇAISE.
PAR J. M. GASSIER.
CHAPITRE PREMIER.
L'ancienne Chevalerie.
La chevalerie fut créée pour récompenser la valeur, et pour être le prix du sang versé pour la patrie. Qu'ils connaiSsoient bien, ces souverains , la nation qu'ils gouvernoient, lorsqu'ils instituèrent les ordres de chevalerie ! Persuadés qu'une récompense pécuniaire seroit recue avec indifférence , et que le Français , plus sensible au don d'un simple ruban qui attesteroit à chaque instant ses exploits, affron. teroit mille dangers pour l'acquérir, ils attachèrent donc des titres et des prérogatives à ce don, qui, transmis d'âge en âge, rappelle à nos contemporains la gloire et les exploits de nos ancêtres. L'objet que je me propose , en donnant une idée de l'ancienne chevalerie, est de faire connoître la nature et l'utilité d'un établissement qui fut l'ouvrage d'une politique éclairée, et la gloire des nations chez lesquelles il étoit en vigueur.
La chevalerie, considérée comme une cérémonie par laquelle les jeunes gens destinés à la profession militaire , recevant les premieres armes qu'ils devoient porter, étoit connue du tems de Charlemagne. Il donna solennellement l'épée et tout l'équipage d'un homme de guerre au prince Louis-le-I)ébonnaire, son fils, qu'il avoitfait venir d'Aquitaine. Ou en trouve de semblables exemples sous la première race de nos rois ; mais à regarder la chevalerie comme une dignité qui donnait le premier rang dans l'ordre militaire , et qui se çonféroit par une espèce d'investiture accompagnée de certaines cérémonies etd'unsermentsolennel, elle ne remonte pas au-delà du onzième siècle. Alors le gouvernement français sortit du cahos où l'a- voient plongé les troubles qui suivirent l'extinction delaseconderacede nos rois. Le caractère que l'on reconnoît dans les formalités de la chevalerie, peut nous faire conjecturer qu'il faut en chercher l'origine dans les fiefs mêmes et dans la politique des souverains et des hauts barons.
Ils voulurent sans doute resserrer les liensde la féodalité en ajoutant à la cérémonie de l'hommage , celle de donner les armes aux jeunes vassaux dans les premieres expéditions où ils devoient les conduire. Comme tout chevalier avoit le droit"de faire des chevaliers, on vit sans jalousie le suzerain user d'un pouvoir que l'on partageoit avec lui.
L'honneur d'avoir été armé dans les fêtes, les distributions qui s'y faisoient de riches étoffes et de manteaux magnifiques, et dont celui qui recevoit chevalier faisoit tous les frais, et le désir de paroître digne de cette faveur signalée, furent pour ces nouveaux guerriers des motifs puissaus pour voler à la gloire.
Il est à propos de donner un aperçu des cérémonies usitées pour la création d'un chevalier. Des jeûnes austères , des nuits passées en prières, avec un prêtre et des parrains, dans des églises ou dans des chapelles , les sacre- mens de la Pénitence et de l'Eucharistie reçus avec dévotion, des bains qui figuroient la pureté nécessaire dans l'état de la chevalerie, des habits blancs, comme symbole de cette même pureté, un aveu sincère de toutes les fautes de sa vie, étoient les préliminaires de la cérémonie par laquelle le novice alloit être ceint de l'épée de chevalier. Après avoir rempli tous ces devoirs , il entroit dans une église, et s'avancoit vers l'autel avec cette épée passée en écharpe à son col. Il la présentoit au prêtre célébrant, qui la bénissoit. Le prêtre la remet- toit ensujte au col du novice. Celui-ci, dans un habillement très - simple , alloit ensuite , les mains jointes, se mettre à genoux devant et aux pieds de celui ou de celle qui devoit l'armer.
Cette scène auguste se passoit dans une église ou dans une chapelle, et souvent aussi dans la salle ou dans la cour d'un palais ou d'un château, et même en pleine campagne. Le seigneur, à qui le novice présentoit l'épée , lui demandoità quel dessein il désiroit d'entrer dans l'ordre ; si ses vœux ne tendoient qu'au maintien et à l'honneur de la chevalerie. Le novice faisoit les réponses convenables ; et le seigneur, après avoir recu son serment, con- sentoità lui accorder sa demande. Aussitôt le novice étoit revêtu par un ou plusieurs chevaliers , quelquefois par des dames ou des demoiselles , de ' toutes les marques extérieures de la chevalerie. On lui donnoit successivement et dans l'ordre ci-après, i.° les éperons, en commençant par la gauche ; 2.° le hautbert, ou la cotte de maille, la cuirasse , les brassards et les gantelets ; puis on lui ceignoitl'épée. Quand
11 avoit été ainsi adoubé , c'est-à-dire revêtu de son armure , il restoit à genoux avec la contenance la plus modeste. Alors le seigneur ou chevalier qui devoit lui conférer l'ordre , se levoit de son siége ou de son trône, et lui donnoit l'accolade ou l'accolée. C'étoit ordinairement trois coups du plat de son épée .nue sur l'épaule ou sur le col de celui qu'il faisoit chevalier ; c'étoit quelquefois un coup de la paume de la main sur la joue. On prétendoit par-là l'avertir de toutes les peines auxquelles il devoit se préparer, et qu'il devoit supporter avec patience et fermeté , s'il vouloit remplir dignement son état.
En donnant l'accolade, le seigneur pronon- çoit ces mots : Au nom de Dieu, de saint Michel et saint Georges, je te fais chevalier. On y ajoutoit quelquefois : soyez preux, hardi et loyal. 11 ne lui manquoit plus que le heaume ou casque , l'écu ou bouclier, et la lance qu'on lui donnoit aussitôt} ensuite on amenoit un cheval qu'il montoit souvent sans s'aider de l'étrier. Pour faire parade de sa nouvelle dignité autant que de son adresse, il caracoloit en faisant brandir sa lance et flamboyer son épée. Peu après, il se montroit dans le même équipage, au milieu d'une place publique. La création d'un nouveau chevalier , étoit en même temps célébrée par les acclamations du peuple, qui s'empressoit de.marquer, par des danses faites autour de lui, la joie qu'il ressen- toit d'avoir acquis un nouveau chevalier. On peut présumer assez de la piété de nos anciens chevaliers , pour croire qu'ils renouveloient tacitement leurs vœux aux grandes fêtes, puis- qu'alors se tenant debout lorsqu'on lisoit ou chantoit l'évangile , ils mettoient l'épée à la main , et la tenoient la pointe en haut, pour marquer la disposition continuelle où ils étoient de défendre la foi.
Indépendamment de la défense de la religion , des ministres et-des temples, à laquelle s'étoit engagé le nouveau chevalier, en vertu des autres lois de la chevalerie, les veuves, les orphelins, et tous ceux que l'injustice faisoit gémir dans l'oppression , étoient en droit de réclamer la protection d'un chevalier , et d'exiger pour leur défense , non seulement le secours de son bras , mais encore le sacrifice de son sang, et de sa vie.
Se soustraire à cette obligation, c'étoit manquer à une dette sacrée , c'étoit se déshonorer pour le reste de ses jours. Les dames avoient encore un privilège plus particulier. Sans armes pour se maintenir dans la possession de leurs biens, dénuées des moyens de prouver leur innocence attaquée , elles auroientvu souveat leur fortune et leurs terres devenir la proie d'un voisin injuste et puissant, pu leur réputation succomber sous les traits de la calomnie, si les chevaliers n'eussent toujours été prêts à s'armer pour les défendre. C'étoit un des points capitaux de leur institution , de ne point médire des dames, et de ne point permettre que personne osât en médire devant eux.
Si la négligence à s'acquitter de ce qu'ils devoient à des particuliers opprimés ou offensés, étoit seule capable de les diffamer , de quel opprobre ne se seroit pas couvert celui qui, dans la guerre, auroit oublié ce qu'il devoit à son prince ou à sa patrie ? Mais la sévérité de la justice et la rigueur de la guerre devoient être encore tempérées , dans la personne du chevalier, par une douceur, une modestie, une politesse, que le nom de courtoisie exprimoit parfaitement , et dont on ne trouve dans aucunes autres lois des préceptes aussi formels que dans celles de la chevalerie. Aussi nulle autre loi n'insiste avec tant de force sur la nécessité de tenir inviolablement sa parole, et n'inspire tant d'horreur pour le mensonge et la fausseté.
Pour les commentaires du texte et dissertation sur les saints : c'est par ici
